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La première Bible complète en français

  • Jacques Lefèvre d’Étaples a entretenu des relations étroites avec le groupe de Meaux, dirigé par l’évêque Guillaume Briçonnet. Ce groupe, formé dans les années 1520, avait pour objectif de réformer l'Église de l'intérieur.

Image d’une situation

Quand Guillaume Briçonnet prend ses fonctions d’évêque de Meaux en 1516, il se retrouve face à une situation bien particulière : un diocèse figé dans des pratiques traditionnelles, où la connaissance chrétienne est presque inexistante, tant chez les paroissiens que dans le clergé local. Dans les campagnes, les fidèles n’ont aucun accès aux textes bibliques. Ils vivent dans un monde où dominent les saints, les reliques, et des pratiques mêlant prières et rites magiques : on prie pour la guérison, pour la protection des récoltes, mais on est loin des enseignements bibliques. La Bible est absente de leur quotidien, et les bases même du christianisme leur échappent. Dans bien des paroisses, il n’y a même pas eu de prédication depuis 7 à 10 ans.

Le clergé local n’est pas mieux formé : souvent issu des campagnes, avec une éducation rudimentaire, il est peu apte à guider ses paroissiens. Pire, la présence des curés est parfois sporadique, certains cumulant des charges dans plusieurs villages sans y résider. Les paroissiens sont laissés à eux-mêmes, sans autorité religieuse solide, livrés à des croyances populaires où les talismans, les esprits et les forces surnaturelles jouent un rôle majeur.

 

 

Jacques Lefèvre d’Étaples

Devant cette situation, Guillaume Briçonnet se lance dans une réforme ambitieuse : il veut un clergé formé, capable de transmettre les vraies valeurs du christianisme basées sur la Bible. Pour cela, en 1521, il fait appel à Jacques Lefèvre d’Étaples, un savant passionné, qui a gravit les échelons de l’Université de Paris jusqu’à devenir maître ès arts et professeur de philosophie au prestigieux Collège du Cardinal Lemoine. Érudit multiple, en 1490, il a signé une introduction à la métaphysique d’Aristote, puis, en 1492, parti pour l’Italie, il rencontre les humanistes Marsile Ficin et Pic de la Mirandole. De retour à Paris, il se plonge dans la traduction et le commentaire d’Aristote, des Pères de l’Église, et des mystiques rhénans, tout en explorant les mathématiques.


En 1508, Lefèvre rejoint l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, dirigée par Guillaume Briçonnet, et y finalise son œuvre maîtresse, le Quincuplex Psalterium, travail polyglotte sur les psaumes. Sa carrière en exégèse biblique prend un nouvel élan en 1512 avec la publication de son Commentaire sur les Épîtres de saint Paul, qui marque un tournant dans son travail d’interprétation spirituelle et théologique.

Bible de Lefèvre d'Etaples B.IV.3Bible de Lefèvre d'Etaples B.IV.3

 

 

Les Évangiles pour tous

Ce parcours rejoint le projet de Briçonnet qui rêve d’un projet audacieux : traduire les Évangiles en français pour que les prêtres les lisent dans les paroisses – une initiative révolutionnaire dans une époque où la Bible est réservée aux clercs ! Le groupe de Meaux, devient un mouvement enthousiaste qui prône une foi centrée sur la Bible. Lefèvre se lance dans la traduction, publiant un Nouveau Testament en français en 1523 depuis la Vulgate latine, en tenant compte des corrections d’Erasme basées sur des manuscrits grecs. L’objectif ? Rendre les Écritures accessibles à tous !


Aux côtés de Lefèvre et Briçonnet, d’autres figures marquent le groupe : Guillaume Farel, qui diffusera bientôt les idées de la Réforme en Suisse, Gérard Roussel, prédicateur modéré, qui rêve lui aussi d’une Église réformée sans rupture avec Rome. Il faut compter aussi Marguerite de Navarre, sœur du roi François 1er, protectrice des réformateurs et mécène de premier plan.

 

Mais cette ferveur attire rapidement les soupçons de la Sorbonne, inquiète des penchants « hérétiques » du groupe. En 1525, face à la répression universitaire grandissante, Briçonnet doit dissoudre le groupe de Meaux et abandonner ses rêves de réforme. Lefèvre, pris dans ce tourbillon, quitte Meaux et trouve refuge auprès de Marguerite de Navarre, sa fidèle protectrice.

 

 

La Bible complète

Son travail ne s’arrête pas là. Après le Nouveau Testament, Lefèvre traduit l’Ancien Testament, toujours à partir de la Vulgate, car même s’il consulte l’hébreu et le grec, le latin reste son appui principal. Ainsi, en 1530, la toute première Bible complète en français voit le jour, imprimée à Anvers.

En format in-folio, elle est illustrée. Le texte, imprimé en typographie gothique, s’étale en colonnes, facilitant la lecture et la recherche. La Bible est munie d’une pagination continue et de sommaires qui aident les lecteurs à naviguer dans le texte.

Lefèvre d’Étaples, contrairement à Farel ne rejoindra jamais le protestantisme, mais son travail reste un pilier de l’accès aux Écritures et servira de base à la Bible de Louvain. Cinq ans plus tard, ce mouvement conduira à un tournant radical : traduire non plus sur la base du latin mais à partir des langues d’origine : l’hébreu et le grec.

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Article écrit par Alain Combes

Auteur de podcasts pour l’Alliance biblique française et conseiller pour la bibliothèque historique.