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La Bible originale de Sébastien Castellion

  • Homme de conviction et traducteur original, souvent passionnant, Sébastien Castellion a sa place dans l’histoire de la traduction biblique. Opposé à Calvin, il est une figure singulière de la Réforme au 16e siècle.

Sébastien Castellion (1515 -1563), est un personnage attachant de la Réforme. Issu d’une famille pauvre de la région lyonnaise, il parvient à poursuivre des études de lettres classiques et de littérature grecque. Attiré par les idées de Calvin, il se rend à Strasbourg où il rejoint le futur réformateur au collège fondé par Jean Sturm. Quand Calvin, suivi de Théodore de Bèze, part ensuite pour Genève et met en place un enseignement inspiré de celui de Strasbourg au Collège de Rive, Castellion le rejoint et devient régent du Collège. Mais bientôt, des conflits d’opinions surgissent et il s’oppose à l’autoritarisme de Calvin en prônant une approche tolérante et critique de la foi.

 

Nouveau Testament Castellion B.IX.12En 1544, face à des désaccords irréconciliables avec Calvin, par exemple sur le thème de la prédestination, et un climat de plus en plus hostile, Castellion quitte Genève. Il dénonce publiquement l’intolérance religieuse et se retire à Bâle, où il travaille comme correcteur d’imprimerie. Puis, professeur pauvre, il enseigne aussi le grec à l’Université de Bâle. C’est alors que Castellion développe ses idées sur la liberté de conscience. Il vit comme une trahison à l’Évangile l’exécution de Michel Servet en 1553. La peine de mort pour cause d’hérésie dans le monde protestant lui apparaît comme inadmissible. Il écrit plusieurs traités, dont Conseil à la France désolée, contre les guerres de religion, et insiste par ailleurs sur la foi comme démarche personnelle et libre. Pour lui, a contrario des idées de l’époque, ni l’État ni aucune Église ne doivent rien imposer sur le plan religieux.

 

Une Bible pour Tous


Parallèlement, après avoir mis au point une Bible en latin, en cherchant la modernisation du vocabulaire, la pureté et la souplesse du style, Castellion publie en 1555 une traduction en français. Son travail le pousse à se soucier particulièrement de la langue-cible, en l’occurrence le français. Il cherche à s’adresser aux lecteurs simples, non-érudits en choisissant des termes proches d’un langage courant, comme « l’offrande » à la place de « l’oblation », « chanson des chansons » titre du livre du « Cantique des Cantiques », « image-dieux » pour « idole » ou « souper du Seigneur » pour « Cène ». Plus curieusement il dit « arrière-femme » pour « concubine » ou « avant-peau » pour « prépuce ». Dans de nombreux endroits, le texte est fluide et donne une clarté étonnante au contenu.


La traduction de Sébastien Castellion est marquée par des choix théologiques qui reflètent sa vision d'une Bible accessible à tous. Il adapte le texte à une compréhension universelle tout en affirmant des principes de tolérance et de simplicité. Voici quelques exemples :
-    Dans le Notre Père (Matthieu 6.9-13) : la première phrase « Notre Père qui es aux cieux, que ton nom soit sanctifié », il la traduit par « Ô notre Père céleste, fais que nous honorions ton saint nom ». Le ton est simple et direct.
-    Dans l’Épître aux Romains 3.24-25 : Castellion remplace « rédemption » par « libération », pour rendre la notion de salut plus concrète.
-    Dans la parabole du bon samaritain (Luc 10.30-37) : à la place de « dépouillèrent », « rouèrent de coups » et « demi-mort », il dit simplement « Des brigands l’attaquèrent, le déshabillèrent, le frappèrent et le laissèrent presque mort ».
-    Par ailleurs, dans 1 Corinthiens 13.4-7, Castellion traduit « la charité » par « l’amour », simplifiant le vocabulaire pour privilégier une compréhension plus large.

 

 



Nouveau Testament Castellion B.IX.12Avec ces choix, il rejette les formulations abstraites au profit d’un message vivant et proche du quotidien. Mais sa traduction est violemment critiquée par Calvin et Théodore de Bèze qui la considèrent comme un « jargon des gueux ». Ce français trop « populaire » s’oppose à la Bible d’Olivétan et aux révisions que l’on en fait. On lira même dans la préface du Nouveau Testament de 1560 que Castellion est « un instrument choisi par Satan pour amuser tous esprits volages et indiscrets ». On se moque de ses néologismes hardis, qui parfois il est vrai, contrairement à ce qu’il cherche, sont difficiles à comprendre. Très attachés à « coller » au plus près de l’hébreu et du grec, les autres humanistes traducteurs n’ont pas toujours osé aller aussi loin et un certain langage devenu « religieux » est souvent conservé dans les traductions.

 

Nouveau Testament Castellion B.IX.12Inventeur et poète, osant la fraîcheur de l’expression au risque de perdre la précision, la démarche de Castellion ne venait peut-être pas au bon moment. Cette traduction vraiment novatrice sera très peu diffusée. On trouve malgré tout dans la bibliothèque historique de l’Alliance biblique française un Nouveau Testament latin/français publié après la mort de Castellion. La Bible complète ne sera rééditée qu’en 2007 ! Jusqu’au 20e siècle, on a oublié le traducteur, tout en se souvenant des idées de cet opposant à l’intérieur de la Réforme. Car Castellion, que l’on apprécie ou pas son intention de linguiste, s’est manifesté comme un humaniste courageux, luttant pour la liberté de conscience, la tolérance religieuse et la paix entre tous, au-delà des opinions. Il meurt à Bâle en 1563, usé et fatigué. Il a quarante-huit ans.

 

 

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Article écrit par Alain Combes

Auteur de podcasts pour l’Alliance biblique française et conseiller pour la bibliothèque historique.