29/10/2025
La Bible de René Benoist, une œuvre contestée
René Benoist, né en 1521 à Angers, entre dans l’histoire comme un érudit audacieux, un théologien engagé, mais aussi comme une figure controversée de son é...
Alors qu’à Paris les autorités religieuses freinent les éditions de Bibles en français, aux Pays-Bas naît une concurrence, appuyée sur l’Université de Louvain. Des publications feront date et seront diffusées en France.
Article écrit le 29/10/2025
Au 16e siècle, les Pays-Bas sont sous l’autorité des Habsbourg, d’abord gouvernés par Charles Quint, puis par son fils Philippe II d’Espagne. Vers le milieu du siècle, le calvinisme s’implante progressivement dans les provinces, provoquant de vives tensions avec les autorités espagnoles catholiques. Dans la ville de Louvain réside une grande Université où se déploie une réaction contre la Réforme. Des initiatives que la Sorbonne à Paris freine violemment sont possibles à Louvain : c’est le cas de deux Bibles en français publiées au milieu du 16e siècle.
La première Bible de Louvain, publiée en 1550, marque une étape dans la diffusion des Écritures en français au sein du monde catholique. Dans un contexte où les traductions vernaculaires suscitent méfiance, ce projet bénéficie néanmoins du soutien de Charles Quint, souverain des Pays-Bas. Portée par Nicolas de Leuze et François de Larben, la traduction s’appuie sur les travaux de Jacques Lefèvre d’Étaples (1530 et 1534), mais en se conformant strictement à la Vulgate, notamment à travers l’édition latine de Jean Henten (1547). Elle reçoit l’approbation des théologiens de Louvain, garants de son orthodoxie.
Elle conserve les prologues principaux mais simplifie certains aspects, comme l’omission des prologues secondaires et une présentation plus populaire, incluant illustrations et tables liturgiques. Nicolas de Leuze reste fidèle au texte de Henten dans des points-clés, notamment dans la Prière de Manassé, qu’il traduit en suivant les ajouts grecs déjà intégrés par Henten. Cette version française est la première à proposer un texte long pour cette prière.
Enfin, De Leuze écrit dans sa préface qu’il s’inspire d’autres Bibles françaises pour enrichir son travail, sélectionnant des formulations qu’il juge les plus adaptées, tout en respectant l’héritage catholique et en intégrant des éléments qui deviendront des standards dans les éditions ultérieures.
Le but principal de cette Bible est clair : fournir une version fidèle à l’enseignement de l’Église catholique et contrer les traductions protestantes jugées déviantes. Les choix de traduction sont particulièrement prudents sur des passages théologiques clés, comme ceux relatifs aux sacrements ou au rôle de Marie, pour éviter toute ambiguïté doctrinale. Imprimée par Barthélémy de Grave, cette première édition constitue une réponse officielle aux interdictions frappant les éditions antérieures de Lefèvre. Pourtant, elle ne connaîtra pas de succès durable et aucune réédition ne sera faite, contrairement à la prochaine Bible de Louvain.

Vingt-huit ans plus tard, en 1578, paraît la deuxième Bible de Louvain, fruit des efforts coordonnés par Jacques de Bay, figure éminente de la théologie catholique aux Pays-Bas. Elle se prétend dépendre du texte de la Vulgate. Cela dit, « avec une certaine discrétion », cette version s’inspire de la Bible française de René Benoist (1566) sans jamais citer son nom. Elle est donc influencée par la traduction protestante de Genève, mais adaptée et parfois corrigée pour refléter les doctrines catholiques. On y trouve des « arrangements » critiquables comme par exemple, pour tenter de justifier le principe des indulgences de traduire un terme grec par une expression inappropriée. Ainsi, on fait dire à l’apôtre Paul qu’il a pardonné « au lieu de Christ », autrement dit « à la place de Christ ». Le texte original écrivant clairement « devant la face de Christ » (2 Corinthiens 2.10), ce que respectait la Bible de Genève. Ce détail permettait de prétendre que si Paul avait pardonné à la place du Christ, la chose était encore possible par le biais des indulgences qu’on achetait pour être pardonné.
D’autre part, le style fluide de Benoist est conservé. Notes marginales et sommaires en tête des chapitres orientent les lecteurs dans une interprétation conforme à l’Église. Cette édition est réalisée par le célèbre imprimeur Christophe Plantin, originaire de France et installé à Anvers, connu pour son excellence technique et son implication dans les débats religieux de son temps. Plantin avait déjà imprimé la Bible de Benoist en 1567, bien qu’interdite en France. Sa contribution à la Bible de Louvain de 1578 assure une qualité exceptionnelle, tant dans la présentation que dans la diffusion.
Rapidement, cette deuxième édition s’impose comme la référence pour les catholiques francophones et reste « la norme » jusqu’à la traduction de Lemaistre de Sacy, à la fin du 17e siècle. Les imprimeurs de France la répandirent aussi malgré un format souvent peu maniable. Il y eut bien sûr des révisions comme celle de Frizon en 1621 ou, pour le Nouveau Testament, Véron (1647) et Girodon (1621). On en connaît de nombreuses éditions imprimées chez des imprimeurs français pendant plusieurs décennies. Dans la France de Louis XIII et du début du règne de Louis XIV elle tient la place principale. À travers ces deux Bibles, Louvain incarne la résistance intellectuelle et spirituelle face aux défis posés par la Réforme protestante. Elle dit aussi l’indépendance de l’Université wallonne et une volonté affirmée de donner le texte biblique en français, même si des interdits ou des limitations à la lecture subsistent ici ou là.
Auteur de podcasts pour l’Alliance biblique française et conseiller pour la bibliothèque historique.
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